"BESTIARUM HUMANIMALIS" : Faire surgir l’étrange dans le familier (par Lucien Rama, critique d'art)
«Mêlant dessin et encre de Chine, Jemmy Lamar met en lumière un monde polymorphe aux enjeux multiples. Il ne s'agit pas ici d'un art gratuit, décoratif et insignifiant : c'est un travail qui veut porter un témoignage de son temps et dont les personnages principaux pensent et vivent une existence vraie et souvent douloureuse. Humour et émotions se dégagent de ce bestiaire ou l’animal et l’humain sont intimement mêlés. Au gré d’une sélection d’encres envoûtantes, ce jeune artiste, autodidacte, pose un regard sur l'animalité et le rôle ambivalent de l'humanité, partagé entre la destruction de la planète et le sacrifice de tous les êtres vivants. Ce jeune artiste pluriel, metteur en scène, et photographe, n'a jamais cessé de s'intéresser de près aux problèmes d’environnement de notre planète. Et son travail dans le domaine des arts visuels nous en apporte la preuve. En littérature, un bestiaire désigne un manuscrit regroupant des fables et des moralités sur les « bêtes », animaux réels ou imaginaires. Le « BESTIARUM HUMANIMALIS » présenté au Château Mottin de Hannut, est autre chose, est plus qu’un remarquable jeu de mots ! Il y brouille les champs de la création et de la perception. Questionnant les formes, les limites de la représentation et de la vision, Jemmy Lamar ouvre les portes à des personnages foisonnants où se mêlent les traits de l’invisible et du réel, créant des lieux où se mêlent l'étrange et l'inattendu. Mais derrière cette satire, un rien surréaliste, derrière ce ballet précieux, il y a une invitation à explorer avec « humour et gravité » des mondes graphiques, à la fois si proches et si lointains. Son but n’est pas de faire de la belle image, il tient à dépasser la simple fascination pour mener un vrai travail de réflexion sur la nature humaine et le respect de notre terre. Nourrie par une culture exigeante, secondée par une écriture ciselée, cette approche, assez littéraire, est aussi très politique. Elle est le fruit d'une vision poétique personnelle, un rien facétieuse. Mais c’est dans ce sens, que l’on y retrouve, à la fois l’univers d’Hans Bellmer ou de la tradition Mithila, cet art pictural de l'Etat du Bihar, du nord-est de l'Inde. Quel plaisir de découvrir un jeune qui s’approprie un thème universel et inépuisable, tout en n’échappant pas à l’extrapolation des attitudes animalières et à leur réinvention. Très riche en contenus et en symbolique, ce «Bestiarum» demeure une invitation au voyage fantastique qu’il ne faut pas manquer. Voilà un peintre qui a quelque chose à dire et qui le dit, certes, d'une façon vigoureuse, parfois sombre, toujours sans concession. Mais son regard sait voir les injustices et les violences contemporaines avec une efficacité certaine: à nous d’ouvrir «grand» nos yeux…» Lucien Rama Critique d’art Aiap-Unesco