"Contrats", un documentaire sur le travail précaire

"Sorti" en 2007, le documentaire de Manon Gary intitulé "Contrats" avait été assez peu diffusé. La Deux (RTBF) vient de le reprogrammer. L’occasion de vous en reparler et de vous signaler qu’il est possible de le revoir sur le web (voir ci-dessous). Le titre "Contrats" doit effectivement vous évoquer pas mal de choses si vous êtes membres SMartBe…
Le sujet du film? La précarité de l’emploi, les difficultés d'insertion sociale, le sens du travail…
En bonus, Manon Gary a accepté de répondre à quelques questions.

Manon, d'où t'es venue l'idée de faire ce film?
L’idée est née de l’observation d’expériences de travail dans mon entourage. J’étais curieuse de comprendre pourquoi certaines personnes "choisissent" de suivre une route toute tracée d’avance (études-boulot-pension) et pourquoi d’autres galèrent davantage ou cherchent des alternatives à ce système calibré.
Je pressentais une partie de la réponse: le travail se morcèle de plus en plus, se précarise, devient abstrait, on ne sait plus pourquoi on travaille.
Moi qui ai choisi une route "artistique" et donc, à priori, précaire, je constatais qu’on me donnait le choix entre: galérer (en créant des choses qui m’intéressent mais rarement) et galérer (en adhérant à un système d’exécution de travail quelconque, qui ne me convient pas).
L’idée de base c’était de réaliser des "capsules" de trois minutes, des portraits qui montrent qu’on peut "travailler autrement", en choisissant la précarité pour une bonne cause (l’art par exemple) ou en alternant "travail rentable" et "activité passion" et parfois même en insérant un peu de sa passion dans son "travail rentable". J’avais écrit plusieurs portraits comme ça, dont quelques uns que j’ai filmés.

Tu as passé combien de temps sur ce projet?
Du début de l’écriture de ces portraits, à la réalisation de "Contrats", il s’est passé plus de six ans.

Quelles sont les difficultés que tu as rencontrées?
Un projet de film, c’est comme une vie: semé d’embûches. Les difficultés ont commencé dans l’écriture quand le CVB (Centre Vidéo de Bruxelles) s’est intéressé au projet. On a mis du temps avant de trouver une forme de narration qui corresponde à ce que j’avais envie d’exprimer. Ca a été encore plus compliqué quand la RTBF a participé à la production: j’avais plusieurs sons de cloche et je m’y suis un peu perdu.
Les producteurs m’ont demandé d’inclure mon parcours dans le scénario, en tant que fil rouge du film. Ca, c’est un peu complexe! Il faut coller à son vécu tout en restant objective.
Jusqu’à la fin du mixage, le "je" a été difficile à gérer. C’est ce qui m’a semblé le moins naturel. Le jour de l’enregistrement de la voix off, je me suis réveillée avec la gorge couverte d’eczéma! On a quand même enregistré, mais c’est une des faiblesses du film, je trouve, cette voix off.

Mais tu as sans doute eu de bonnes surprises aussi …
Sur un tournage comme ça, en équipe légère, dans une ville aussi vivante que Bruxelles, on a des surprises chaque jour. La scène du chanteur de rue, avec la vieille dame qui danse a été la meilleure pour moi: tout y était dit sans un mot. Le plaisir de l’instant, de la création spontanée, du bonheur de créer ensemble, du "travail" qui ne rapporte (presque) pas d’argent, mais de la vie en plus.

Tu as terminé ce film il y a quatre ans. Quelle est ta situation au niveau boulot maintenant?
C’est toujours précaire. Mais je suis encore plus déterminée qu’avant. Bien sûr parce que je ne peux pas faire autrement… mais c’est aussi un acte politique à mes yeux.
Je suis retournée en France, et là, le statut d’intermittent est difficile à avoir et encore plus à garder puisqu’il faut le renouveler chaque année. Je l’ai obtenu l’année dernière, puis perdu… et vu la politique française actuelle et l’horizon qui s’annonce, ce statut ne va sans doute pas faire de vieux jours. C’est à nous de trouver des alternatives, ou d’en créer en se communautarisant; SMart arrive en France, mais lentement.
Concrètement: j’ai créé une association, pour financer mes films. Je réalise parfois des films de commandes. J’ai plusieurs projets plus personnels sur Marseille. Et je travaille à mi-temps dans un hebdo web marseillais, en tant que journaliste et monteuse.

Tu as un autre documentaire en préparation?
Après plusieurs échecs de demandes de subventions pour un gros projet de long, j’ai décidé de commencer à tourner d’autres choses avec mon matos et une équipe légère. J’ai trois projets de documentaires, dont deux en tournage, que je réalise quasi seule. Ils sont en cours et je ne sais pas encore si je trouverai un diffuseur.
Je continue à écrire toutes sortes de choses. Comment faire autrement ?

A noter que SMartBe reviendra sur le thème de la précarité du travail le 5 mai en accueillant Anne Rambach pour l’ouvrage qu’elle a coécrit avec Marine Rambach : "Les nouveaux intellos précaires". On vous en dit plus prochainement mais si vous voulez être tenu au courant de cet événement, envoyez un mail à maw@smartbe.be.

Date:
17/03/2011