INHIBITION
Cette nuit fut profonde et tourmentée. Sans doute me suis-je assoupi à cette table, dans cet antre où je suis encore ce matin. Je me réveille avec une certitude issue des limbes. Je ressens une force oubliée, quelque chose de neuf qui respire l’univers de mon enfance, une sorte de légèreté heureuse. Une pensée me soulève et tourne en boucle, chacune de mes cellules est pénétrée de sa puissance. Le secret, c’est travailler la série et sa variation. Le secret, c’est travailler la série et sa variation. Comme un air que l’on fredonne sans pouvoir échapper à son mouvement frénétique, comme un solo de Coltrane qui se perd dans une folie inachevée, dans une transe incantatoire qui jamais ne finit. Mon rêve était des plus étranges. Je rencontrais un peintre chinois, un vieux sage, dont je venais de découvrir les œuvres. J’étais dans un décor tout en bois traditionnel, comme dans l’ancienne Chine, celle que l’on s’imagine. L’échange fut riche, simple, naturel et puissant. Il m’a révélé son secret pendant que nous observions une de ses peintures. Un mur y était représenté. Une sorte de contrefort en pierre beige claire, rebondi sur lui-même, qui dévoilait un beau spectacle d’ombres au bas des courbes dessinées. Tracée dans ces roches, à gauche de l’image, une diagonale, un trait lancé par je ne sais quel dieu décidé. Le vieux sage me l’a montré et m’a dit que ce simple trait faisait ressortir l’œuvre et la courbe, imparfaite mais tracée d’un geste volontaire, comme une vie que l’on oriente vers une rupture, qui mène vers ailleurs. On sentait dans ce geste toute la sensibilité d’une peur dépassée, face à un inconnu. Il y avait là toute l’insoutenable légèreté des trajectoires possibles. C’est le moment qu’il a choisi pour me montrer au centre de l’image, parallèle à cette diagonale tracée dans la falaise, un autre trait, moins sombre, qui semblait identique au premier. Il m’expliqua que, dans ce deuxième trait, répétition du premier, il y avait le passage d’une œuvre à un chef d’œuvre. Ce dédoublement du trait créait l’équilibre absolu de l’image, sa beauté ultime. C’est à ce moment qu’il a prononcé ces mots qui font résonance. Le secret, c’est travailler la série et sa variation.